#ShareSkillsVision-Antoine Poincaré, VP Climate School chez Axa Climate : “Les compétences de la transition durable”
Après un premier témoignage de Marie Missant-Spriet, chef de projet RH à la Matmut, nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec Antoine sur sa vision des compétences liées au nouveau virage clé de notre économie et de notre société : la transition durable.
Ce raz-de-marée, sans mauvais jeu de mot, va, au même titre que le digital, profondément modifier et bousculer la manière dont nous concevons la compétence au service de l’expertise, mais aussi de l’employabilité.
Antoine nous donne sa vision franche et éclairante sur ce grand défi du siècle :
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Antoine Poincaré, aujourd’hui je travaille chez AXA Climate qui est une petite entité d’AXA spécialisée sur Climat et environnement.
On fonctionne un peu comme un start-up studio et on essaye de lancer des nouveaux produits ou services qui aident les grandes organisations à réaliser leur transition durable. Ces produits ne sont pas forcément de l’assurance ou liés au risque. Et ils ne sont même pas proposés plus particulièrement au client du groupe AXA, ce sont vraiment des activités à part.
Aujourd’hui on a trois grands métiers : assurance, conseil en adaptation et formation. Et moi je pilote l’activité formation.
Avant ca j’ai travaillé 6 ans chez Coorpacademy une plateforme de formation en ligne pour les grandes entreprises (on les accompagnait surtout sur la transformation digitale, la dernière grande vague de transformation). Et encore avant ca j’avais commencé ma carrière dans la production audiovisuelle.
Pourquoi la transition écologique est-elle un enjeu clé pour les entreprises ?
Parce que c’est une grande transformation « systémique » c’est-à-dire que ca a un impact sur les clients et leur comportements, les régulations publiques, les leviers de création de valeur, les grandes risques et les opportunités du business.
La dernière grande transformation qu’on a vécu de cet ordre de grandeur c’est la transformation digitale qui a eu un impact massif sur les entreprises à partir de 2010–2012 en France je dirais, un peu avant aux Etats-Unis.
Et le sujet avec ces transformations « massives » c’est qu’on ne peut pas les limiter à un département de l’entreprise, tout le monde est concerné tout le monde doit s’adapter.
Le digital ca a été un peu pareil c’est devenu une vague de transformation quand ca a cessé d’être un « sujet de DSI » pour toucher le marketing, la finance, les RH, les ventes etc. Ce qui se passe avec la transformation durable ou environnementale c’est pareil. Longtemps on a cru que ca allait être limité au département RSE et là on se réalise que ca a un impact sur tous les échelons de l’entreprise.
Quelle devrait être le plan de n’importe quelle organisation pour ne pas louper le virage de cette transition majeure ?
C’est toujours dur d’avoir un avis définitif sur ce genre d’aspect. Mais je dirais qu’il y a quelques « points de passages » obligés :
1. En faire un sujet au plus haut niveau (board, CEO) — pas seulement bien sûr mais s’il n’y a pas une prise de conscience de l’importance du sujet à ce niveau là, c’est très dur de faire bouger une organisation.
2. Prendre conscience qu’on en a pour au moins 10 ans, probablement plutôt 30. Ce que nous a appris la transformation digitale c’est que ca prend du temps. Et ce coup-ci l’obstacle est clairement plus haut. Donc l’erreur à ne pas commettre c’est d’avoir une initiative maintenant et de se dire « c’est bon c’est fait ». Dire qu’on a « pris en compte la transformation durable » en 2021 est à peu près aussi absurde que de dire en 2011 « c’est bon j’ai réalisé ma transition digitale ». Le monde va encore beaucoup, beaucoup changer.
3. Etre modeste. Le caractère particulier de cette transition durable c’est qu’elle est compliquée à comprendre. Elle est basée sur beaucoup de science qui elle-même évolue vite sur des équilibres complexes et du temps long. Et puis même quand on comprend le climat il faut penser les interdépendances avec la biodiversité ou les ressources naturelles (par exemple les énergies renouvelables ca permet de réduire les émissions de CO2 mais ça demande des ressources naturelles qui sont elles-mêmes disponibles en quantité limité (le lithium pour les batteries, le silicium pour les panneaux solaires)). Il faut accepter qu’on ne saura pas tout, tout de suite et que les choses sont amenées à évoluer. Donc face à ça il faut rester modeste et accepter de s’adapter.
Selon vous, quelle est l’importance des compétences pour construire une stratégie prenant en compte ces enjeux ?
Elle est majeure. Quand vous voyez qu’une entreprise comme PwC annonce un plan de recrutement de 100 000 consultants « sustainable » d’ici 2025 (sur une boite de 280 000 personnes) on voit bien que ca va être la guerre des talents qui comprennent la transition.
Il va y avoir le même phénomène qu’avec les développeurs ou les data scientists un déséquilibre offre/demande massif qui donne une prime démesurée à ceux qui ont les bonnes compétences (ou qui sont prêts à les apprendre).
Quelles compétences sont les plus critiques ?
D’un point de vue hard skills ca va dépendre des métiers : dans des départements comme finance ou RSE il va y avoir des gros enjeux de « compliance » et de reporting donc il faudra comprendre la régulation, aux achats il va soudain falloir beaucoup mieux comprendre comment les produits qu’on achète sont fabriqués (enjeu d’analyse de cycle de vie, d’économie circulaire, matériaux, transport carbone). La liste est donc très longue et très variable d’un métier à l’autre. Et puis il y aura les nouveaux métiers en développement : energy manager, comptable carbone etc.
Ce qu’il y a d’intéressant sur cette transition durable c’est qu’on a pas encore LE job qui l’incarne et dont tout le monde veut (comme on a eu développeur pour la transition digitale) donc il n’y a pas de réponse simple à votre question.
En termes de soft skills, je pense que la décennie qui arrive va donner une énorme prime à l’adaptabilité et la faculté d’apprendre vite (les deux sont liées).
Quelle est votre opinion sur les initiatives du marché pour promouvoir ces nouvelles compétences clés?
Tout le monde prend conscience du problème en même temps donc les initiatives se multiplient mais elles en sont encore au tout début. Si vous prenez l’offre de formation que je pilote, et qui vise à faire prendre conscience des enjeux de la transition durable sur les métiers de l’entreprise (IT, RH, Achats, Finance etc), on est aujourd’hui accessibles à 1M de personnes. L’objectif c’est 10M de personnes dès l’année prochaine donc on est vraiment au tout tout début.
Dans les initiatives intéressantes il y a entre autre :
- Les grandes écoles qui se positionnent en « Executive training », Cambridge a un super master CISL par exemple.
- Toutes les « fresques » et la première d’entre elle la fresque du climat et qui font de la sensibilisation dans les entreprises et auprès des particuliers. On est pas encore sur l’acquisition de nouvelles compétences mais cette étape de sensibilisation est clef (on y consacre notamment la moitié de notre offre « Climate School »)
- Et une dernière initiative intéressante: les grandes écoles de la transition, sur le modèle des grandes écoles du numérique.
Participez-vous à des discussions avec vos pairs d’autres organisations sur les compétences liées à l’écologie?
Oui ca démarre ! Le Shift Project qui, comme toujours, contribue à réunir les acteurs de l’écosystème sur les grands sujets, s’intéresse à la question. Et dans les boites les leaders se posent désormais tous la question : RSE bien sûr mais aussi les patronnes et patrons des achats, de la finance, du juridique. Tout le monde a conscience du « skills gap » qui se profile et cherche comment le franchir.
Quels freins actuels identifiez-vous pour trouver les bonnes compétences ?
Probablement qu’on ne les connait pas toutes! Blague à part c’est un univers qui a bougé très très vite donc même dans les écoles et universités on peine à trouver des enseignants sur ces nouvelles compétences. Sur le plan de relance « France Relance » 2.5 milliards d’euros sont consacrés à la formation au service des 10 axes prioritaires présents dans le plan. C’est une bonne chose car il faut aider les filières à investir dans ces compétences.
Finalement, pensez-vous qu’un consensus/langage commun sur les compétences “durables” doit être encouragé pour garantir une compréhension et adhésion globale?
Ca serait probablement une bonne chose mais je vois mal comment cela pourrait émerger aujourd’hui sur le sujet de la transition durable. La prime est donnée à la rapidité et de fait elle est nécessaire donc je vois mal comment un « cadre » commun pourrait s’imposer dans ce contexte.
Interview réalisée par Ketcia Thach-Kingsman et Rodolphe de Torquat pour Skilleaders
Vous pouvez accéder gratuitement à la Axa Climate School pour vous former aux enjeux de la transition écologique via le lien suivant : https://www.climate.axa/training
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